À 58 ans, Sophie Delannoy boucle sa première Mini Transat avec émotion et un large sourire. Ancienne directrice d’un refuge pour jeunes victimes de transphobie, la navigatrice a trouvé dans la course au large une nouvelle façon de se dépasser et de porter les valeurs qui lui tiennent à cœur. Installée à Morlaix depuis trois ans, elle a préparé cette aventure avec le groupe de Roscoff, sous la houlette du coach Damien Cloarec.
Dans la nuit guadeloupéenne, elle a reçu un accueil chaleureux de la grande famille des ministes, attentive à l’écoute du récit de sa traversée et de ses hallucinations. Pour Sophie, cette Mini Transat n’était pas seulement un défi maritime : c’était une aventure humaine et identitaire, une manière d’incarner la liberté — celle de naviguer, et celle d’être soi.
INTERVIEW
Une aventure intense et humaine
« C’était intense, mais franchement, je repartirais demain sans hésiter ! C’était une véritable aventure : flippante, exigeante, avec des moments où tu te demandes ce que tu fais là, d’autres où tu penses que rien ne va marcher…
Le plus difficile, mentalement, c’est de garder la niaque, de rester disponible dans la tête pour s’occuper du bateau et le faire avancer. J’ai énormément appris sur moi-même. Pour moi, c’est une étape importante : je n’étais pas là pour faire une perf’, mais pour continuer à m’accomplir en tant que personne, celle que je suis devenue il y a sept ou huit ans. Et là, j’ai découvert un nouvel aspect de Sophie — et c’est chouette quand même ! »
« Même quand tu échanges un peu à la VHF avec deux ou trois copains autour de toi, tu restes profondément seul. Et quand il n’y a plus personne à proximité, c’est encore plus vrai. Je crois que c’est le seul endroit où tu peux être vraiment seul : pas de réseau, rien du tout. Tu es confronté à toi-même, à ta capacité à te remettre en route… ou à rester comme un moule au fond du bateau, à te dire “à quoi bon ?”. Tu passes par des états très différents. »
La fatigue jusqu’au bout des hallucinations
« Il y a quatre ou cinq jours, quand les grains ont commencé à arriver, on s’en est pris trois d’un coup. Avant le quatrième, je ne sais pas pourquoi, je renvoie le spi médium : le bateau surfait à 15–16 nœuds sous la lune… Et là, j’étais convaincue qu’il y avait quelqu’un d’autre à la barre ! C’est le genre de moment où tu te dis : “Bon, allez, j’affale, je vais dormir, et ça ira mieux !”
Quand tu commences à entendre ton téléphone sonner au milieu de l’Atlantique, c’est assez flippant ! Moi qui suis un peu spirituelle, entourée de gens inspirés qui me racontent des histoires étranges, je me dis que peut-être certains d’entre eux avaient déjà fait la Mini (rires) ! Cette course te pousse vraiment au bout, physiquement comme mentalement. »
Roscoff, port et groupe d’ancrage
« Ce qui est vraiment important pour moi, ce sont les trois ans que j’ai vécus à Roscoff. J’y ai rencontré des gens : des parents, des grands-parents, des frères, des sœurs — qui n’avaient jamais entendu parler de la transidentité.
Ils m’ont vue faire des trucs normaux, comme aller sur l’eau quand il fait 6 degrés, et ils se sont dit : « En fait, j’en connais une. »
Le jour où ces gens-là auront un enfant ou un proche transgenre, ils n’auront pas la réaction qu’on entend trop souvent, du genre : « Casse-toi, tu es un monstre. »
C’était surtout ça, l’objectif du projet — et aussi, pour moi, de m’accomplir en tant que marin. Parce qu’avant que Damien Cloarec, notre coach (que je salue d’ailleurs — pour Damien, hip hip hip, hourra !), ne nous prenne en main, moi je savais juste faire le tour des îles croates. Ce n’est pas tout à fait le même délire ici ! Damien nous a bien botté l’arrière train, fait sortir de nos certitudes et faseyer le tourmentin.
Sa course en chiffres
51 – Série (917) Moanaiti – Sophie Delannoy
Arrivée : 13/11/2025 03:47:55 UTC
Temps de course : 18j 12h 47min 55s
Écart au premier : 3j 13h 08min 31s
Écart au précédent : 03h 14min 34s
Sur l’ortho : 2606.38 nm / 5.9 nds
Sur le fond : 3146.23 nm / 7.1 nds
