Le regard tiré, les yeux mouillés, Alexandre Demange est allé au bout de la fatigue. À son arrivée au ponton, après un final marqué par le passage de copieux grains, le skipper sablais de 26 ans ne cherche pas à cacher son émotion au terme d’une toute première transat jalonnée de galères.

L’épreuve de se retrouver impuissant, bloqué pendant plus de 24 heures dans une nappe de sargasses, et l’intensité de l’expérience humaine, vécue seul en huis clos dans son petit bateau au beau milieu de l’océan, sont autant de souvenirs qui émaillent sa traversée, et dont il témoigne avec sincérité. Mais le résultat est là d’être parvenu au bout de ce périple à la découverte de lui-même ; et de mériter figurer sur le podium de la catégorie des prototypes au terme d’une course sur laquelle il a fait preuve d’une belle combativité.
« Cela fait trois jours que je n’ai pas dormi, c’était très actif avec plein d’orages et quelques sargasses. Pour être totalement franc, j’ai du mal à réaliser ce qu’il m’arrive. Je ne sais pas si cela se voit dans mes yeux, mais il n’y a plus grand monde derrière. Mais je suis là, et le bateau aussi ! »
Les chiffres de la course d’Alexandre Demange (avant jury)
Le skipper du DMG MORI a coupé la ligne d’arrivée à 14h20m et 47 secondes heure locale (19h20m et 47 secondes heure de Paris) après 14j 03h 20min 47s de course à la vitesse moyenne de 7,7 nœuds sur le fond. Il arrive 09h 56min 02s après Mathis Bourgnon sur le parcours théorique de 2613 milles entre Santa Cruz de la Palma (Canaries) et Saint-François (Guadeloupe).






INTERVIEW
La poisse des sargasses
« Je partais pour prendre énormément de plaisir, et pour découvrir le grand large. Je ne veux pas mentir, je n’ai pas pris de plaisir, j’ai rencontré trop de pépins. Je me suis fait bloquer dans les algues trop longtemps pour que ce soit une belle course pour moi. Je me suis éclaté pendant deux ans comme jamais sur ce petit bateau avec ce projet, mais la transat, j’ai l’impression d’être passé un peu à côté. Ce n’était pas la transat de mes rêves.
Mais je suis super content d’être là, plus c’est dur, plus on apprend. J’ai énormément appris ; et si on veut que l’expérience soit belle, il faut qu’il y ait quelques coups au moral. Si tout se passe toujours bien, on n’a rien à raconter au bistrot ! Mais peut-être que quand j’aurai pris un peu de recul, je pourrai dire que c’était la plus belle course de ma vie. Là, c’était plus un chemin de croix, un parcours du combattant plus qu’une traversée de l’Atlantique. »
« J’ai pas mal pleuré »
« Il y a quand même une troisième place, et j’en suis super fier. 15 jours en mer tout seul, cela fait travailler un peu le cerveau quand même. Mais dans tout ça, je suis un peu fataliste, il y a quand même des bons souvenirs ; et je pense que les meilleurs souvenirs que j’aurai, ce sera dans 15 ans quand je me rappellerai de toutes les galères que j’ai eues, dont celle de passer une journée complète dans une nappe de sargasses dans le sud du Cap Vert. Il y avait 20 nœuds, le bateau était bloqué à 6 nœuds. Il ne pouvait pas accélérer, et partait au tas. Cela a duré toute la journée ; et le lendemain, c’était pareil, je plongeais toutes les demi-heures. Pendant quatre jours, je m’endormais avec la barre dans les mains. C’était vraiment dur. J’ai arrêté d’écouter les classements, j’étais dans ma galère. Je pense que ma caméra aura quelques petites histoires à raconter. J’ai pas mal pleuré. »
Pour Hajime
« J’ai eu Mathis (Bourgnon) deux jours après le départ ; et après plus personne. C’est ce que je venais chercher, de ne parler à personne, être seul avec moi-même ; et je suis un sacré dossier à gérer !
Cette course, je l’ai aussi faite pour Hajime (Kokumai). Je l’avais dit au départ de la deuxième étape, on est deux dans ce projet. Il a dû abandonner parce que son bateau a coulé. Une grande partie de la réussite de ce podium, c’est grâce à Hajime. J’y retournerai avec grand plaisir. Mais je dois me laisser le temps d’arriver, ce n’est pas anodin de traverser l’Atlantique à bord d’un si petit bateau. »






